LEONARDO DELFINO
Heure et lieu
24 nov. 2022, 18:00
Paris, 27 Rue de Seine, 75006 Paris, France
À propos de l'événement
Leonardo Delfino naît à Turin en 1928 au sein d’une famille italienne traditionnelle. Son père est lui-même artiste et son enfance est marquée par l’ère mussolinienne et les difficultés écono- miques qui poussent la famille à émigrer en Argentine en 1936. C’est un élève aussi brillant que dissipé. Exclu de l’école à 14 ans, c’est seul qu’il préparera l’entrée à l’Ecole des Beaux-Arts de Buenos Aires qu’il obtient brillamment... avant de la quitter au bout de quelques mois. L’Art l’intéresse dès son plus jeune âge, il n’a que 17 ans lorsqu’il découvre un dessin de Jacques Hérold, artiste sur- réaliste, qu’il côtoiera plus tard à Paris. Sa vocation l’amène à exploiter ses talents manuels pour vivre, c’est ainsi qu’il construit plusieurs ateliers tout en suivant l’enseignement d’un peintre anarchiste. Delfino est alors très influencé par le réalisme et le socialisme, et trouve ses modèles parmi le peuple de la rue. Artiste autodidacte, féru de littérature et de poésie, il sera toute sa vie un grand lecteur admirant aussi bien les classiques (Tolstoï, London, Nietzsche, Dante ... etc) que ses contemporains. Ses premières amours vont au dessin, et à la peinture, sa formation première. Sa notoriété se développe notamment grâce à des expositions à la galerie Rubbers ou à sa participation à des réunions culturelles dans l’entourage de Romero Brest, critique d’art dominant alors la vie artistique de Buenos Aires. C’est le temps des « fresquistes » comme Diego Rivera ou David Alfaro Siqueiros. Il n’a pas 25 ans. Sa rencontre avec celle qui va devenir sa femme, Olga, transforme sa vie. Issue d’une famille russe, elle est cultivée, mélomane et elle-même sculptrice. Ils décident de se marier et de partir s’installer à Paris. Nous sommes en 1959, période pendant laquelle Paris bouillonne. Les premiers temps dans la capitale française sont difficiles mais, comme lui, d’autres jeunes artistes argentins ont fait la traversée et, très vite, Delfino se met à la sculpture et expérimente un nouveau langage créatif en portant son intérêt sur le métal, la « ferraille » qu’il récupère et travaille avec des vis. Entre 1961 et 1963, dans le cadre de la Biennale des jeunes : « trente argentins de la nouvelle génération » il réalise sa première exposition avec Pablo Curatella Manes à la galerie Creuze mais également Alicia Penalba ou Guzman. Son travail de l’acier, son goût pour le grand format, attire l’attention d’une jeune galeriste américaine Dar- thea Speyer et marque le début d’une longue collaboration entre eux. En effet, entre 1970 et 1999, ils organi- seront 8 expositions ensemble, faisant de Speyer LA galeriste de Delfino. Le Musée d’Art Moderne de la ville de Paris conserve deux œuvres de l’artiste datant de cette période. Dès ses premières sculptures, se pose la question centrale de l’organique et de la « réalité masquée par l’ex- térieur ». Raoul Jean Moulin s’émerveille de ces « formes nouées, tumultueuses pour mieux s’épanouir » et de ces volutes qui transfigurent la pauvreté de la matière. Il expose également aux Salons de Mai (de 1966 à 1980) et dans les jardins du Centre Culturel américain avec Albert Féraud sur le thème de « Sept propositions pour le métal ». Comme ce dernier, et comme les autres « métallo-poètes » que sont Guino, César, Hiquily, il revisite les tech- niques d’assemblage et de soudure, exploitant toutes les possibilités offertes par le métal pour créer un nou- veau langage. Ses œuvres s’illustrent par un rythme, une linéarité sinueuse et une souplesse soulignant la parfaite maîtrise technique de la matière par l’artiste. Il trouve son premier atelier parisien avec le sculpteur allemand Colas Geissler , rue de Clignancourt, et le divise en deux pour le partager avec le peintre Corneille. Sur ses conseils, le propriétaire des lieux (initialement une menuiserie) transforme les lieux, ce qui permet à Peter Klasen et à Breyten Breytenbach de s’installer, eux-aussi. Très ouverts, Delfino et son épouse sont en contact avec de nombreux artistes comme Edouardo Jonquieres, lui aussi argentin, (dont les peintures ne sont pas sans évoquer celles de Vasarely) ou Julio Cortazar. Vers 1965, il abandonne l’acier pour revenir à un travail plus classique de modelage en argile et fixe ses mou- lages en plâtre avec une résine époxy stratifiée, ce qui l’oblige à un travail minutieux de finition. Cette résine va devenir son matériau de prédilection. Très résistante, facile à mouler, légère, elle demande de nombreuses étapes avant d’obtenir une matière finie aux reflets bronzés concourant à accentuer l’aspect envoûtant de sa sculpture si particulière. Il élabore alors des œuvres anatomiques qui enthousiasment ses contemporains louant les « bouquets de muscles et de viscères donnant naissance à des créatures hybrides auxquelles il inspire un lyrisme fascinant ». 5 Les années 70 sont celles de la consécration mais aussi celles pendant lesquelles il poursuit sa quête de la création d’un univers fantasmagorique où le noir est une couleur aussi sensuelle que funèbre. Delfino enchaîne les expositions, à Paris et en Province, à l’international ( Biennales de Venise, de Budapest, exposi- tions de sculptures en plein air à Séoul...) et surtout reçoit prix et commandes : - tables-sculptures et sièges pour le Musée d’Art Moderne - sculpture commandée par Jacques Toubon pour la Place Nationale ... Il se voit attribuer un atelier-logement passage Ricaut où il côtoie Jacques Hérold, Edgar Pillet, Andrée Honoré tout en continuant à travailler dans son atelier de la rue de Clignancourt. Naturalisé français en 1975, il réalise de nombreux voyages aussi bien en Europe, qu’en Amérique du Sud ou en Egypte. Il bouleverse la représentation du corps, sous la pression d’un imaginaire fécond qui lui permet de réinventer la ré- alité. C’est ainsi qu’il isole des éléments anatomiques qu’il sort de leur contexte pour les associer entre eux tout en les modifiant. La sculpture est un langage et Delfino cherche à créer une langue qui lui soit propre alliant intériorité et réalité objective. Avec le développement des musées de sculpture en plein air et les politiques culturelles, certaines villes s’attachent au développement artistique et de nombreux artistes les accompagnent comme Ipoustéguy , Viseux et... Delfino. En 1978, la ville de Vitry sur Seine lui concède un terrain pour construire son atelier. Il y travaillera jusqu’en 2017... quand les problèmes de santé se liguent pour réfréner son élan créatif en le contrai- gnant d’abord à abandonner les grands formats puis à se consacrer de nouveau au dessin. C’est en 1980 que l’une de ses œuvres est implantée Quai Saint Bernard à Paris dans le musée de sculpture en plein air. Il reçoit la commande d’une œuvre monumentale pour La Défense, sur le parvis de la société Technip. Il y travaille pendant quatre ans et l’inauguration est faite en 1984, par Jack Lang, alors Ministre de la Culture, appuyant encore l’aura de l’artiste. « Lien du corps » s’impose par sa monumentalité dans un quartier d’affaires alors en plein déve- loppement immobilier mais aussi artistique puisque les œuvres de Calder, Miro, Agam , César jouxtent les tours qui ne cessent de s’élever. Les années 90 marquent une évolution dans son langage créatif. Sa recherche d’équilibre entre lignes tubulaires et noueuses s’accompagne de l’insertion de formes géométriques. Combinant des éléments géométriques, orga- niques, naturels, il créée « une nouvelle harmonie des contraires ». Sa technique, elle aussi, se renouvelle et il aban- donne le moulage pour celle du montage. Si le noir lustré est toujours là, le rouge fait son apparition. L’apparition de totems, et plus largement la multiplication d’éléments verticaux, traduit sa recherche d’équilibre. Le rouge de la Vie s’oppose au noir de la Mort, tandis que l’utilisation de mains, réseaux sanguins, et autres détails ré- alistes évoquent une certaine violence mais également « le temps qui se consume, la vie qui se dissout dans le vide » A la fin des années 2000, Delfino s’isole et se met en retrait de la scène artistique. Il quitte l’atelier du passage Ricaut, puis s’installe rue d’Arcueil. Les expositions se raréfient... Deux opérations successives des genoux, l’obligent à réduire son activité créatrice. Il commence par diminuer les formats de ses œuvres avant de revenir à ses premières amours : le dessin. Il alterne alors dessins précis et œuvres plus intérieures. L’échéance du bail de son atelier de Vitry, en 2018, l’amène à déménager l’ensemble de ses œuvres rue d’Arcueil. Ses amis, sa famille sollicitent alors l’Académie des Beaux Arts afin de rédiger une superbe monographie, rétrospec- tive de l’œuvre d’un artiste d’exception. Sa disparition récente rend l’hommage à la carrière de cet artiste complet absolument indispensable afin de re- mettre en pleine lumière celui qui fut l’un des créateurs les plus accomplis de la seconde moitié du XXème siècle Diane de Karajan.